I. Un médecin impuissant face à la douleur ?

Scène d’amputation
                                    <br>(Merian, c. 1646, Wellcome Collection)

La prise en charge de la douleur est parfois perçue comme une nouveauté, une pratique négligée dans le passé.
Pourtant, la douleur est déjà un sujet de préoccupation aux 16e-18e siècles. Même si la médecine de cette époque est en partie impuissante à y remédier, les médecins la mentionnent souvent et cherchent toujours à la soulager.
S’arrêter sur la période des 16e-18e siècles permet de dépayser notre regard sur la douleur : le détour par le passé contribue au renouvellement des questionnements et pratiques actuelles.

Commençons par nous défaire de quelques préjugés…

Un médecin bourreau ?

Certaines opérations, vitales pour le patient, ne peuvent être accomplies « sans une extrême douleur », selon le chirurgien Ambroise Paré, qui rapporte au 16e siècle l’histoire tragique d’Archagatos. Ce dernier pratiquait des amputations ; il fut lapidé par les Romains, qui le considéraient comme un bourreau : « Ô quelle ingratitude d’avoir employé tout son bien, esprit et temps pour apprendre son art, et l’exerçant être ainsi massacré et tué ! »Ambroise Paré, Les Œuvres, 4e éd., Paris, Gabriel Buon, 1585, p. 4-5. déplore Paré.

Une époque doloriste ?

La notion de dolorisme n’est apparue qu’au 20e siècle. Mais on l’utilise souvent pour résumer une conception de la douleur associée au christianisme : l’idée que la douleur physique nous permettrait de nous élever spirituellement – une attitude en réalité souvent critiquée au 17e siècle.

Un patient stoïque ?

Des philosophes, comme Montaigne, et des chirurgiens, comme Dionis, revendiquent alors le droit de gémir et de crier lorsqu’on a mal. Ils condamnent la philosophie stoïcienne qui enjoignait de surmonter sa douleur et d’en contrôler les signes.

Michel de Montaigne - Laisser parler sa douleur

Pas d'empathie ?

L’empathie n’est pas une notion utilisée aux 16e-18e siècles. Les médecins parlent en revanche de pitié et de compassion, douleur suscitée par la peine d’autrui et ciment de la vie sociale. Bien des récits de maladie montrent à quel point l’expression de la compassion pour le malade participe à la construction de la sociabilité, notamment à la cour.

Pas d'antalgiques ?

On ne parlait pas d’antalgiques, mais d’anodins, pour désigner tous les remèdes contre la douleur. Le pavot à opium en faisait partie, ainsi que d’autres plantes considérées comme des « narcotiques » ou des « stupéfactifs ».