La goutte est, avec la maladie de la pierre, l’emblème de la maladie chronique suscitant des crises aiguës. Elle est caractérisée par des douleurs articulaires intenses, souvent dans le pied –d’où l’autre nom de cette maladie, podagre, littéralement « maladie du pied » en grec :

« Cette douleur ressemble tantôt à une tension violente, ou à un déchirement des ligaments ; tantôt à celle que cause la morsure d’un chien ; […] la partie affligée ressent une douleur si vive, qu’elle ne peut seulement supporter le poids de la couverture.Thomas Sydenham, Médecine pratique de Sydenham avec des notes, trad. du latin par A. F. Jault, Paris, Didot le jeune, 1774, p. 444-445. » (Thomas Sydenham, Traité de la goutte, 1683)

Thomas Sydenham - Les morsures invisibles de la goutte

La goutte est un objet de réflexion fréquent dans les textes des 16e-18e siècles, d’autant plus qu’elle affecte un grand nombre de lettrés et de puissants.

Âme et corps

La goutte illustre l’impossibilité pour l’âme de surmonter stoïquement la douleur physique : « Celui qui a la goutte, la pierre ou quelque autre maladie fort douloureuse, est actuellement malheureux, fût-il comblé de biens et d’honneurs par son princeNicolas Malebranche, Entretiens sur la métaphysique, sur la religion et sur la mort, nouvelle édition, revue, corrigée et augmentée [1711], 3e entretien, dans Œuvres, éd. G. Rodis-Lewis, vol. II, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1992, p. 1026. », dit le philosophe Nicolas Malebranche (1711). Le moraliste La Rochefoucauld lui-même voyait sa « constance vaincueMarie de Rabutin-Chantal Sévigné, Correspondance, éd. Roger Duchêne, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », t. I, 1972, p. 197. » par la goutte, selon la marquise de Sévigné.

Madame de Sévigné - Les douleurs aiguës, seul mal véritable

La goutte, « notre unique calamité, qui cloue au lit, est maléfique, torture les talons, crucifie, rompt les genoux… » (d’après une édition latine de Lucien de Samosate, 1537).

Mobile politique

L’empereur Charles Quint est atteint de la goutte, notamment au niveau des mains, ce qui, déplore-t-il, l’empêche d’ouvrir une simple lettre et de s’occuper des affaires d’État. Cette maladie chronique devient un argument pour justifier son abdication, décision politique alors controversée.

Charles Quint - La goutte, un cas de force majeure

« Cruel bourreau qui mutile l’homme en le privant de l’usage de ses membres et rend l’âme accablée par ses tortures, inhabile à toute occupation sérieuseDans Théodore Juste, L’abdication de Charles Quint, Liège, J.G. Carmanne, 1851, p. 14. » (propos attribués à Charles Quint au sujet de la goutte).

Satire sociale

La goutte est perçue comme l’apanage des riches trop bien nourris et sédentaires, tandis qu’elle épargnerait les gens du peuple. Dans la fable La goutte et l’araignée, La Fontaine satirise les médecins, passés maîtres dans l’art de faire durer cette maladie chez leurs riches patients, ce qui leur assure des revenus stables.

Jean de La Fontaine - La goutte, maladie des riches