Cette gravure illustre les différentes possibilités de blessures par armes blanches. Or différentes causes de douleurs produisent différents types de sensations douloureuses, difficiles à objectiver, répertorier et nommer : « le mot de Douleur, tout simple qu’il est, contient mille sortes de mauxMarin Cureau de La Chambre, Les Charactères des Passions, t. IV, De la douleur [1659], Paris, Jacques d’Allin, 1662, p. 36-37. », selon le médecin Cureau de La Chambre (1659).
Certains médecins veulent établir un nuancier des douleurs très large qui pourrait faciliter le diagnostic. Mais ce projet se heurte à deux difficultés, souvent soulignées :
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On ne peut espérer connecter systématiquement les types de douleurs à leurs différentes causes. Le nuancier des douleurs ne suffit donc pas à établir un diagnostic. Sans compter qu’il n’est pas toujours facile, pour le patient, de distinguer des douleurs voisines – par exemple une douleur brûlante et une douleur mordante.
Laurence Sterne - Quand un savant décortique sa douleur -
Certaines appellations des douleurs en usage chez les médecins, comme les douleurs obtuses, astringentes ou ulcératives, sont des notions techniques que n’utilisent pas spontanément les patients pour décrire leurs propres sensations. Or, le partage d’un même lexique facilite la communication entre le médecin et le patient, ce qui est déterminant pour le diagnostic. Selon Galien, qui reste une source fondamentale du savoir médical à l’époque, « si le diagnostic ne se tire pas de ce que nous disent les malades eux-mêmes, tout ce que l’on peut dire sur les souffrances n’est qu’un long bavardageGalien, Les lieux affectés, dans Œuvres anatomiques, physiologiques et médicales, trad. Charles Daremberg, t. II, Paris, J.-B. Baillière, 1854-1856, p. 532. » (Les lieux affectés).
Le risque est donc de nommer les douleurs en recourant à un langage d’expert plus obscur qu’éclairant.
Les mots du patient
Plutôt que de nommer des douleurs caractéristiques, certains médecins reprennent des comparaisons visiblement utilisées par les patients : telle douleur est perçante « comme si on plantait des pieux dans un membreKaspar Peucer, Les devins, ou différentes sortes de devinations [orig. latin Wittemberg, 1553], Anvers, Heudrik Connix, 1584, p. 416. » ; une autre comme si on « brisait la tête avec un mailletAmbroise Paré, Les Œuvres, 4e édition, Paris, Gabriel Buon, 1585, 17e livre, chap. III, p. 604. ».
Parfois, ce sont les demandes des patients qui servent à mesurer l’intensité de la douleur. À propos d’une jeune patiente de 7 ans atteinte en 1629 d’une « douleur de tête insupportable », le médecin Lazare Rivière précise : « elle demandait qu’on lui ouvrît la tête avec un couteauLazare Rivière, Les Observations de médecine [1646], trad. du latin par F. Deboze, Lyon, Jean Certe, 1680, obs. XXXVII « Une douleur de tête mortelle », p. 43. ». Le praticien n’a bien sûr pas obtempéré. « Ouvrir la tête », comme le suggérait cette patiente qui ne tolérait plus sa douleur, pouvait être préconisé dans des cas de migraine. Mais la plupart des médecins jugent la trépanation hasardeuse et dangereuse ; ils la recommandent exclusivement pour certaines fractures.
Évaluations d'hier et d'aujourd'hui
Voici les types de douleur les plus souvent mentionnés par les médecins aux 16e et 17e sièclesSynthèse d’après Gaspar Torella, Dialogus de dolore, cum tractatu de ulceribus in pudendagra, Amsterdam, 1500 ; Kaspar Peucer, Les devins, ou différentes sortes de devinations [orig. latin Wittemberg, 1553], Anvers, Heudrik Connix, 1584, livre XI, « Les présages des médecins », p. 414-416 ; Michel Le Long, Hippocrate, Les sept livres d’Aphorismes du grand Hippocrate, Paris, Nicolas et Jean de la Coste, 1645, 6e livre, aphorisme V, p. 677 ; Marin Cureau de La Chambre, Les Charactères des Passions, t. IV, De la douleur [1659], Paris, Jacques d’Allin, 1662, p. 115-122. :
piquante
poignante
aiguë
tensive
pesante
pulsative
mordante
comme un pieu
tranchante ou déchirante
comprimante
cuisante
sourde
froide
endormie
démangeaison
agacement
Aujourd’hui, on distingue également plusieurs types de douleur, même si les termes ont changé. Le « questionnaire de Saint-Antoine » invite par exemple les patients à signaler quels mots décrivent leur douleur au sein d’une liste de 56 termes. Cette auto-évaluation suppose que le patient ait un vocabulaire très riche. On y trouve notamment les notions suivantes :