IX. Une douleur utile ?

L’utilité de la douleur fait l’objet de vifs débats.

En contexte chrétien, son intérêt moral et spirituel est souvent invoqué. Ainsi, les douleurs endurées par Anne d’Autriche lors de son agonie sont décrites comme un martyre prouvant une force d’âme « admirableFrançoise de Motteville, Mémoires pour servir à l’histoire d’Anne d’Autriche, épouse de Louis XIII, Amsterdam, François Changuion, 1723, t. V, p. 383. ». Mais cela n’empêche en rien les médecins de chercher à la soulager en lui administrant du « jus de pavot ».

Madame de Motteville - Les intermittences d’un long supplice

Au 17e siècle, les philosophes et médecins s’intéressent moins à l’intérêt moral de la douleur qu’à son utilité fonctionnelle. Le phénomène de la douleur est à leurs yeux un passage obligé pour comprendre ce que sont nos sensations.

La douleur sentinelle

  • La douleur est décrite par les médecins comme un signal indispensable ou « une sentinelle attentive et fidèleGerard van Swieten, Hermann Boerhaave, Aphorismes de chirurgie d’Hermann Boerhaave, commentés par Monsieur van Swieten [1742], trad. du latin en français, Paris, Veuve Cavalier, t. I, 1753, p. 441. », qui avertit d’éloigner ce qui pourrait détruire le corps.

  • Chez un philosophe comme Malebranche, la douleur revêt un rôle stratégique pour penser le lien entre le corps et l’esprit. Le raisonnement est le suivant : chacun constate que l’esprit sent de la douleur quand le corps est blessé ; or cette sensation nous permet de nous protéger de façon réflexe de ce qui menace l’intégrité de notre corps. L’association corps-esprit est donc bénéfique à notre conservation, même si son fonctionnement nous échappe

    Nicolas Malebranche - La douleur, sentinelle indispensable

La douleur mortifère

Mais la douleur n’est pas toujours salutaire, elle peut être mortifère. Au-delà d’un certain seuil ou dans certaines circonstances, la douleur est jugée plus nocive qu’utile :

  • Le signal que constitue la douleur peut brouiller le diagnostic au lieu de le faciliter. Les médecins recommandent notamment de « ne pas juger la grandeur ou la petitesse d’une maladie par la seule douleurMichel Le Long, Les sept livres d’Aphorismes du grand Hippocrate, Paris, Nicolas et Jean de la Coste, 1645, livre II, aphorisme XLVI, p. 187. », car elle n’est pas proportionnelle à la gravité du mal.

  • La douleur affaiblit les forces du malade. Elle va jusqu’à provoquer ce que les médecins nomment « convulsions » et « syncopes ». Ils considèrent qu’il est possible de mourir de douleur.

  • Les douleurs qu’on appellerait aujourd’hui chroniques, comme celles de la migraine ou de la goutte, sont souvent présentées comme des douleurs injustifiables.

« À quoi servent, je vous prie, les douleurs qui font mourir tant de gens ? […] Et les douleurs de l’enfantement, à quoi servent-elles ?Pierre Bayle, Réponse aux questions d’un Provincial, tome second », s’interroge le philosophe Pierre Bayle en 1706.

Selon le chirurgien Pierre Dionis, il faut arrêter de pratiquer certaines opérations douloureuses, « aussi cruelles qu’inutiles », comme « ces cautérisations du foie, de la rate et des jointures » (1708)Pierre Dionis, Cours d’opérations de chirurgie, démontrées au Jardin Royal, Bruxelles, T’Sterstevens et Claudinot, 1708, p. 168..